Claustrum (1996-97) (Urbana 6)

Pour percussion et sons fixés.

Commande de l’INA-G.R.M.
Créée par Jean Geoffroy à la Salle Olivier Messiæn le 19 Mai 1997.
durée : 18 minutes.

Dédiée à mon fils Rodrigo et à Jean Geoffroy.

A l’intérieur et dans le déroulement chronologique du cycle Urbana cette pièce marque un tournant très important dans la prise de conscience du rapport entre l’espace musical et l’espace physique réel dans lequel l’œuvre s’incarne. C’est à ce titre que la préoccupation dans la recherche à propos de l’idée, plus que n’importe quelle réalité concrète des cloîtres, est primordiale. “Les plus anciens règlements monastiques emploient le terme latin Claustrum pour désigner la barrière- réelle ou fictive- qui sépare le réligieux du reste du monde”. [1]

La genèse de cette œuvre a plusieurs parallélismes plus ou moins clairs mais pour moi importants. Claustrum (du latin claustrum) est apparentée à Le Bagne de Jean Genet dont j’ai fait la musique de scène pour la Compagnie Valsez-Cassis et mise en scène par François Wastiaux [2] dans le cadre de La ronde des vauriens.


Cartongrafías: Abel Robino. Techniques mixtes sur papier 150 X 150

 

Le deuxième des parallélismes, moins évident, mais peut être plus surprenant a été un tableau d’Abel Robino, travaillé en quinconce [3] et dont le chiffre 5 – le tableau est divisé par des sortes de barres verticales découpant l’espace totale de la toile en cinq bandes- , les barrières ou barreaux et signes de percussions ne sont que les apparences des points communs. Ce travail a été réellement parallèle, je dirais même tacite, .à aucun moment nous nous sommes mis d’accord mais le hasard d’un mot placé dans le bon contexte nous a acheminé vers un résultat étonnament similaire.

Le travail développé par Genet dans “Le Bagne”, son rapport au langage m’ont renvoyé lors de l’élaboration de la partition écrite pour le percussionniste Jean Geoffroy à la notion – et aussi au mot “percussor” (en latin celui qui donne la mort, qui tue), mais aussi à des notions plus profondément liées à l’acte créateur. Ces notions tout aussi présentes dans l’œuvre de théâtre comme dans le scénario du film peuvent se résumer à : l’exercice  de la liberté et à l’enfermement volontaire et involontaire.

On touche par ces questions l’acte créateur, l’imagination. Ici, comme là, rien n’est plus vide que la plus belle des structures. Ici, comme là, la poésie de la matière comble instant par instant, couleur par couleur, comme dirait Genet “toutes les ténèbres des temps” [4]. Non pas dans une dialéctique forme-contenu (structure-matière) mais dans le bien plus difficile exercice d’être.

Dans un cahier de notes retrouvé il y a peu de temps j’esquissait des idées qui, plus tard allaient être versées , de manière consciente ou inconsciente dans le creux da la création de “Claustrum”. Voici un extrait daté de mai-juin 1996:

Le bagne – le bagne ?

Nulle réalité n’est exempte de vide. Après l’effort plus ou moins grand pour l’appréhender elle nous apparaît comme incomplète; le monde requiert notre participation pour sa transformation , l’acte créatif en devient alors l’expression de l’humain. Dans la réalité pressante et oppressante du bagne, réalité fortement teintée d’éternité -de part son caractère inéluctable- la volonté humaine créatrice fait jaillir son essence de manière plus vive que dans notre vie pantouflarde. Ainsi une représentation du bagne ne peut avoir de résonance que dans le bagne intérieur – conscience de notre physiologie limité, humaine, néanmoins imprégnée d’éternité et de sur humain.

Les bagnards sont, tout comme nous le serions dans une situation analogue, des semi-dieux, démiurges créant un nouvel univers bâti sur les ruines et les cages de l’ancien, le réel. C’est la nature dialectique de l’esprit constructeur qui fait l’amalgame (peut-être le seul possible) à partir de la conscience du vide (le bagne, ou le bagne intérieur, peu importe) et l’accomplissement du geste créateur.


 

[1] Voir l’article sur Les Cloîtres de L Pressouyre , attaché de recherche au CNRS dans Encyclopaedia Universalis
[2] Voici un extrait paru dans les notes de programme lors de la première de la pièce  : ” Un cycle s’accomplit, englobant cellules, cours, chemins de ronde, désert, pour mieux révéler, hors champ, ce bagne bien connu de tous : le Temps”
[3] Quinconx dont la traduction française est en quinconce, sorte de zig zag
[4] Jean Genet : Le bagne, Editorial L’arbalète Paris 1993. 


 

 

Claustrum
Jean Geoffroy : Percussion
Enregistrement public de la création
Maison de Radio France – Salle Olivier Messiaen Son MU
janvier 1997
*Editions Alfonce


[ Cycle Urbana ]
[ Instrument seul et/ou bande magnétique ou électronique ]